Découvrez l'intervention de Pierre Bauby dans l'article de Catherine Maussion du Liberation du 21 avril 2011, un constat amer sur la popularité des Entreprises Publiques mixtes en France.

Avec le temps, va, tout s’en va… Et même l’amour des Français pour leurs services publics : la Poste, le téléphone, le chemin de fer, le gaz et l’électricité. Depuis dix ans, en liaison avec Ipsos, Claude Posternak sonde les Français sur l’image, bonne ou mauvaise, d’une trentaine de grandes entreprises. Il a extrait pour Libération l’évolution, trimestre après trimestre, de la cote d’amour des entreprises publiques ou ex-publiques. Le résultat est confondant. Alors qu’elles caracolaient, au lancement du baromètre, en tête des entreprises préférées des Français leurs images se sont toutes écroulées. Chacune à leur manière. Avec des hauts et des bas pour la SNCF ou une descente par paliers pour EDF… La Poste, la moins mal notée, est classée 19e sur 30. Les autres, - EDF, GDF-Suez, France Télécom -, figurent aux toutes dernières places, la SNCF fermant la marche. Flambée des tarifs, déshumanisation, offres illisibles : les raisons abondent (lire ci-contre).
 
«Proximité»
Mais encore ? Une première explication est donnée par l’auteur de l’étude : «Regardez qui arrive en tête ? L’automobile [Peugeot, Citroën, ndlr], mais aussi les enseignes de la grande distribution ! [Leclerc, Intermarché…]. Des boîtes qui se battent pour préserver le pouvoir d’achat des Français et qui rendent un service de proximité»… Pierre Bauby, chercheur et spécialiste des services publics, explique : «Après la Libération, on a créé des entreprises qui ne recherchaient pas le profit, mais visaient à satisfaire des besoins, le téléphone, le gaz, l’électricité, ou encore le rail sur tout le territoire.» Puis, étape après étape, parce que le vent de l’ouverture à la concurrence (et de l’économie de marché) s’est mis à souffler, parce qu’aussi ces entreprises étaient devenues des Etats dans l’Etat (France Télécom, EDF-GDF…), «on leur a répété qu’il fallait être rentable, devenir des entreprises comme les autres», rappelle-t-il, ce qui explique, la «mutation en accéléré» de la dernière décennie.
Certes, il demeure des obligations de service public. Comme la tournée des boîtes aux lettres six jours sur sept, ou le maintien de la poste en milieu rural. «Mais les manageurs les perçoivent comme des contraintes», souligne le même Bauby. Malmené aussi le principe de l’égalité des usagers. «Regardez la super classe Premium dans le TGV», insiste-t-il. Pour François Brottes, député PS spécialiste des services publics, «les hostilités ont vraiment commencé il y a une dizaine d’années, quand l’Etat a vidé de sens les entreprises publiques pour mieux les privatiser».
Quand il a également choisi de leur assigner une mission à l’international, où elles devaient s’imposer comme des champions, justifiant le changement de statut. Pour EDF, GDF-Suez ou France Télécom, la mutation est quasi achevée. Pour la Poste, à entendre Jean-Paul Bailly, interrogé il y a peu par des députés, elle devrait s’accélérer. Les 2,5 milliards d’euros apportés par l’Etat et la Caisse des dépôts, va servir à cela, «à l’innovation et au développement», y compris à l’international.
Ces grands écarts se paient par beaucoup d’incompréhension. Claude Posternak : «Les Français adoraient EDF-GDF. Et puis, on a coupé l’entreprise en deux. Elle était soi-disant trop grosse. Après, on a trouvé GDF trop petite et on l’a marié à Suez.» Cherchez l’erreur. Les accusés ne contestent pas ce désamour. Chez EDF, on joue les victimes : «Comment voulez-vous être aimé quand dans l’énergie, on ne peut annoncer que des hausses de prix !» L’entreprise, auparavant confondue avec GDF, explique qu’elle pâtit de tous les faux pas de son ex-jumelle, comme les surfacturations de clients l’été dernier, parce que dans l’esprit des gens, elles sont toujours restées jumelles. On reconnaît surtout que «l’ouverture à la concurrence a été jusqu’à présent très déceptive pour l’usager-client». Sur les 7,4% de clients partis à la concurrence, 1,7% sont d’ailleurs revenus au bercail.
A la SNCF, en revanche, on insiste sur l’extrême volatilité de l’image de l’entreprise, ultracorrélée aux «incidents». Et l’année 2010, avec un hiver cataclysmique, plombé par les intempéries, par une grève dite «de Noël», et le calvaire des voyageurs entre Strasbourg et Port-Bou, a été dévastatrice. Ce qui n’empêche pas l’entreprise d’entonner son credo : «Etre à la fois une boîte ultracompétitive et accessible à tous», dit un membre de la direction.
 
«Marges»
Une certitude, la notion même de service public, à la SNCF comme ailleurs, n’est pas une valeur portée aux nues du côté de l’Etat. Pierre Bauby en veut pour preuve un courrier adressé par Nicolas Sarkozy le 14 février à Guillaume Pepy : «Il faut attendre le dernier paragraphe pour voir figurer le terme "service public".» Et encore, dit-il, «c’est au détour d’une phrase». Le mot compétitivité, lui, est à l’honneur. De là à dire que l’Etat est un peu responsable du délitement du service public… Toujours est-il, selon l’universitaire, que «les pouvoirs publics nationaux disposent de larges marges de manœuvre», qu’en France on utilise très peu : «sur la Poste, il n’y avait pas d’obligation européenne à passer en société anonyme. Il n’y avait pas non plus de diktat de Bruxelles pour séparer RFF [propriétaire du réseau, ndlr] de la SNCF. Regardez la Deutsche Bahn !»
En tout cas, question image, France Télécom a trouvé la solution. Plutôt que de s’échiner à faire remonter sa marque, l’ex-entreprise publique a choisi de la faire progressivement disparaître au profit d’Orange. Mais, rassure l’opérateur, «en aucun cas avant le printemps 2012». On le comprend : testée dans le baromètre, Orange, mieux classée que France Télécom, se hisse à la 21e place.
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